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Fine, S. & Lindemann, T. (2022). « Mort de migrants dans la Manche : « Les discours politiques européens se réfèrent aux lois pour justifier leur irresponsabilité » », Le Monde, 27 novembre 2022

Dans une tribune au « Monde », les professeurs Shoshana Fine et Thomas Lindemann s’alarment des raisons juridiques avancées par les pays européens pour légitimer leur non-assistance aux migrants en détresse.

Dans son édition du 13 novembre 2022, Le Monde révélait que le personnel du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage maritime (Cross) de Gris-Nez (Pas-de-Calais) n’avait pas porté assistance à des naufragés traversant la Manche, en novembre 2021 ; 27 d’entre eux avaient trouvé la mort. Cette non-assistance pourrait, de prime abord, être imputée à des personnels incompétents. Pourtant, à regarder de plus près leur argumentation, deux lignes de défense sont identifiables.

Dans la première, les secouristes se réfèrent aux lois internationales et européennes pour justifier leur irresponsabilité, en liant l’obligation de sauvetage au principe de souveraineté. La protection des frontières étatiques prévaut sur la protection des vies : « Alors que, à 3 h 30, un passager explique qu’il est littéralement “dans l’eau”, le Cross s’entête à lui rétorquer : “Oui, mais vous êtes dans les eaux anglaises”. » Cette référence à une responsabilité territorialisée est partagée par leurs homologues anglais : « Le temps qu’ils arrivent sur place, les vagues nous auraient menés dans les eaux territoriales françaises », par conséquent « ils ne sont pas venus », rapporte un survivant.

Une deuxième justification plus indirecte présente les naufragés comme responsables de leur situation. Ils ont choisi de rompre les lois en traversant « illégalement » la Manche : « Ah bah tu n’entends pas, tu ne seras pas sauvé. J’ai les pieds dans l’eau, bah… je ne t’ai pas demandé de partir. » […]

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